La récolte de miel bat son plein. Quoi de meilleur que ce miel frais qui s’écoule des maturateurs ? Pourtant, une part d’incertitude subsiste quand à l’aspect final du fruit de la ruche. En effet, la cristallisation du miel laisse parfois perplexe les plus expérimentés. A l’inverse, comprendre la cristallisation permet à un consommateur de mieux appréhender l’origine d’un miel et d’anticiper son évolution dans le temps.

Composition du miel

Le miel est d’abord caractérisé par sa teneur en eau. Réglementairement, il ne doit pas en contenir plus de 20% pour pouvoir prétendre à l’appellation miel. Mais pour une bonne conservation, il vaut mieux rester en dessous de 18%, sinon on s’expose à une fermentation.

A noter qu’on pense souvent que l’operculation du miel est le signe d’une maturité suffisante et donc d’une teneur en eau inférieure ou égale à 17%…C’est souvent vrai mais parfois faux.

Le mieux est de disposer d’un petit réfractomètre optique. Peu onéreux, il permet de tester le taux d’humidité directement au pied des ruches. Et si le résultat est trop élevé, on recommande alors de stocker les hausses dans une pièce équipée d’un déshumidificateur. Pour une récolte amateur, un déshumidificateur de salon peut suffire : en asséchant l’ambiance, il asséchera également le miel.

En poids total, le premier constituant du miel, c’est le sucre ou plutôt les sucres. Tout le monde connaît le saccharose ou sucre de table. C’est un sucre complexe constitué de deux sucres simples : le glucose et le fructose. Et bien le miel est une solution de sucre dans l’eau, qui contient des proportions variables de glucose et de fructose. Ces deux sucres sont issus de la dégradation du saccharose contenu dans le nectar, facilitée par une enzyme issue du jabot des abeilles

La transformation du saccharose en fructose et glucose se fait grâce à une enzyme : la saccharase. Elle agit lors de la trophallaxie (échange de nectar d’abeille en abeille avant le stockage dans les cellules). Le dosage de la saccharase dans le miel permet de différencier notre cher miel d’un simple sirop de sucres.

En dernier lieu, le miel contient d’autres composants pour environ 3% de son poids. Quantité faible, ce sont pour autant des éléments indispensables à sa qualité et qui en font cet aliment aux multiples vertus. Leur importance dans le phénomène de cristallisation n’est pas prépondérante…dans un premier temps.

La physique pour comprendre le miel

Imaginons un morceau de sucre dans un verre d’eau. On remue, le sucre se dissout. Si on rajoute un deuxième morceau de sucre, il va se dissoudre aussi… on continue jusqu’à ce qu’on ne puisse plus dissoudre de sucre : la solution est saturée…mais en chauffant, on peut dissoudre à nouveau quelques morceaux de sucres supplémentaires.

Dans la ruche, la température monte jusqu’à 36°C, ce qui permet de dissoudre glucose et fructose de façon optimale pour former le miel qui est alors une solution saturée ….le problème commence quand on récolte, car la température après récolte est plus proche des 20°C. Le miel devient alors une solution sursaturée en sucres…et donc instable : le sucre devrait se séparer de l’eau.

Le rapport glucose/fructose, une question de fleur.

C’est le moment de dire que le fructose est beaucoup plus soluble que le glucose. Un miel riche en glucose sera donc plus facilement sursaturé qu’un miel riche en fructose.

L’exemple type du miel riche en fructose, c’est le miel d’acacia. (Ou peut-être devrions nous dire de robinier car le miel de vrai acacia existe mais il est tropical.) Ne compliquons pas. Le miel dit d’acacia est très riche en fructose, tellement riche que quand il est pur, il ne fige pas à température ambiante.

A part quelques miels rares, c’est le seul miel d’origine française qui, quand il est pur, reste définitivement liquide pour le bonheur des amateurs de tartines vite faites.

Alors pourquoi mon miel d’acacia est-il figé ?

C’est le miel pur d’acacia qui ne fige pas…or il se trouve qu’avant l’acacia, on a souvent la miellée de colza…en début de miellée d’acacia, le miel des corps peut être monté par les abeilles dans les hausses. Acacia et colza se trouvent alors mélangés. Or le colza, c’est l’exemple type du miel riche en glucose.

C’est donc l’inverse avec le colza…à tel point que le miel de colza est parfois sursaturé dans la ruche. Particulièrement quand la température extérieure baisse. Cela explique que ce miel fige parfois dans la hausse…ce qui pose alors un gros problème de récolte, sauf à disposer d’une chambre chaude…ou à transformer votre salon en sauna.

C’est bien beau mais pourquoi dans la même récolte j’ai 2 cristallisations différentes ?

On sait maintenant que la cristallisation est une conséquence de la sursaturation. Donc plus il y a d’eau dans le miel, moins il y a de sursaturation et moins le miel cristallise. Pourtant la réciproque est fausse : moins d’eau dans le miel, ça ne veut pas dire plus de cristallisation.

En effet, quand l’eau diminue, le miel devient visqueux : il s’écoule mais lentement. Les molécules de sucres sont collées entre elles et se regroupent mal pour former des cristaux.

Concrètement c’est à 17-18% d’humidité que le miel cristallise le plus vite

Une variation dans la teneur en eau d’un miel et la cristallisation n’est plus la même. Exemples : Laisser un pot ouvert et l’autre fermé…En fonction de l’humidité ambiante, le miel va agir comme une éponge et son taux d’humidité va varier. Plus surprenant encore…Dans un même maturateur (au-delà de 200 kg), le miel du fond est plus sec de 1 à 2 %.

On sait aussi qu’à température élevée, les sucres sont plus solubles donc moins de cristallisation. Mais quand la température diminue, la viscosité augmente… ce qui défavorise aussi la cristallisation.

Concrètement, c’est à 14°C que la cristallisation est la plus rapide. Cela amène à réfléchir à la température de la pièce de stockage de la récolte.

Pour compliquer encore, la vitesse de cristallisation dépend de la taille du contenant… la cristallisation a besoin d’être amorcée…Dans un petit contenant, il y a plus de surface en contact avec le miel, donc la cristallisation démarre plus vite que dans un pot plus grand. En effet, une surface même en verre est toujours pleine d’aspérités microscopiques. Plus d’aspérités, c’est donc une cristallisation qui commence plus vite.

Maintenant que mon miel est cristallisé, qu’est ce qui explique la finesse des cristaux ?

On l’a dit précédemment, la cristallisation a besoin d’un amorçage pour démarrer. Cette amorce est naturellement présente dans le nectar : c’est ce qu’on appelle les cristaux primaires. Ils servent de modèle au reste des cristaux en formation dans le miel.

Ces cristaux primaires sont souvent plus fins dans un miel qui cristallise rapidement…en effet ils n’ont pas le temps de beaucoup grossir. Le colza est donc un modèle de cristallisation fine. Pour le chataignier, les cristaux sont souvent plus gros.

En conclusion, un miel de printemps (souvent riche en colza) acheté liquide en avril, dans un petit pot, correctement déshydraté et stocké en cave…ne devrait pas rester liquide très longtemps !

Cependant, ces connaissances sur la cristallisation permettent aussi de modifier les textures de certains miels ou de prévoir leur conservation dans le temps. Anomalies et modifications du miel : ce sera le sujet du mois prochain.